Etape 3) Comment diversifier les usages de l’application ?

 Si Amino ne s’adresse pas en premier lieu à des communautés de type “lifestyle”, ces groupes se réapproprient l’application. Ces communautés semblent «braconner» l’application afin de créer leurs propres aminos. Cette notion développée par Michel de Certeau est intéressante à mobiliser dans le cas d’Amino, en ce qui concerne les réappropriations militantes de l’application. Le «braconnage culturel» définie l’action d’utilisateurs de biens culturels qui les détournent de leurs fonctions, de leur but premier et en font leur propre usage. Ils inventent un usage propre, redéfinissent le sens. Michel de Certeau assimile les producteurs de sens à des propriétaires terriens qui imposent le sens des biens culturels aux consommateurs grâce à la réglementation des usages et des accès. Amino est d’abord une application destinée aux fandoms, plutôt tournée vers la culture geek ou la pop culture. Différents usages sont possibles et différents profils de communautés peuvent être créer cependant les aminos les plus populaires tournent autour de la culture geek, manga, pop et cet aspect est clairement mis en avant par l’application dans leur présentation.  L’accent est mis sur un certain type d’utilisation de l’application, qui va être repris et réinterprété par les communautés plus militantes. Celle-ci vont s’approprier les codes d ‘Amino et en transformer les usages. Les communautés que nous avons le plus suivi sont des communautés LGBT+ et une communauté vegan francophones.

Les utilisateurs sont des militants, des membres des communautés LGBT+ /vegan ou des intéressés ne faisant pas ou pas encore partie de la communauté. Ils s’identifient sur l’application en mettant en avant leur engagement, leur orientation sexuelle ou leur « degrès de veganisme » : végétarien/végétalien etc. Cependant, beaucoup d’utilisateurs se présentent aussi comme fan, même dans ces communautés.  C’est souvent par ce biais que ces utilisateurs ont connu l’application et ont découvert plus tard les groupes plus militants qui leur correspondent ou décidé d’en créer. Les aminos militants sont plus centrés sur le « lifestyle » et le partage de conseils, d’informations, «d’astuces » et de « bons plans » y sont plus fréquent que sur les aminos fandoms qui privilégient le divertissement. L’accent est mis sur l’échange, la discussion et le partage. La communication entre les membres est facilitée par l’usage d’Amino. L’application semble être un espaces privilégié pour créer des groupes de discussion. L’application est en effet la seule à posséder de nombreuses fonctionnalités permettant de construire une communauté soudée et de partager beaucoup de contenus différents.

Ces espaces souvent présentés comme des « safe spaces ». Un safe space, également appelé « espace positif » ou « zone neutre », désigne un espace dans lequel des minorités, des populations marginalisées peuvent se réunir et s’exprimer en toute sécurité et liberté autour de leur expérience de marginalisation. Ces espaces constituent un véritable lieu de contrepouvoir. Ils permettent aux communautés victimes d’oppressions d’investir un lieu non-mixte et de partager. Cette définition semble être appropriée concernant les aminos LGBT+ ou vegan, dont la volonté est de créer un espace agréable pour les membres de ces communautés. Cependant, ces groupes qui se revendiquent comme des safe-spaces sont ouverts à tous, or un safe space est par définition un espace non-mixte réservée aux minorités. Sur les pages de présentatio,; les aminos militants sont souvent décrits comme ouverts aux «intéressés» ou à «ceux qui font partie de la communauté LGBT ou pas». Comment gérer un safe space ouvert à tous ? C’est pourquoi le rôle de l’équipe de modération qui se charge de gérer l’amino et de surveiller les posts est primordial. Ces espaces sont donc des safe-spaces sous condition, qui peuvent basculer dans le non-droit si l’équipe de modérateurs ne fait pas son « travail ». Les groupes militants sont soumis à la réglementation de l’accès définie par Amino cependant afin de pallier à cela, ils «braconnent» l’application en construisant une forte équipe de modérateurs qui prennent leur travail très au sérieux et sont responsables du degrés d’ouverture de l’amino. Ils gèrent eux-même la mixité du safe-space qui est placé sous leur observation et leur contrôle.

Certains militants de l’application expliquent être présents pour parler de leur sexualité, des problèmes qu’ils rencontrent, pour faire circuler des informations mais ne sont pas militants hors d’Amino. Certains sont engagés à la fois sur l’application et au quotidien, d’autres encore ne se définissent pas comme militants. Dans “Les militants-internautes”, Communication, Vol.22/1, 2003, 11-32 de Fabien Granjon, l’auteur les caractérisent par une organisation en réseau “modalités d’engagement caractéristiques de la “nouvelle” critique sociale telle que la capacité des néo-militants à faire circuler l’information, à développer des liens, à entrer en relation avec d’autres militants et à s’engager dans d’autres projets”. On peut aussi évoquer la notion de “néo-militant”, défini comme “un faciliteur de réseaux” appelé “mailleur” par Luc Boltanski et Eve Chiapello dans “Le nouvel esprit du capitalisme”. Le néo-militant assure la circulation des informations, il est un “militant-médiateurs” qui utilise internet comme un médiateur technique qui permet la constitution de nouveaux refuges, de nouveaux terrains pour la lutte, la mise en relation. Le rôle principal des militants sur Amino est surtout la transmission et la discussion autour d’informations variées dont ils ne sont pas forcément les auteurs. 

 Petit test de connaissances, c’est parti… !